Je sais. J’aurais pu vous la souhaiter bonne, douce, heureuse, sage ou folle, trépidante ou calme, remplie d’amour et d’amitiés, mais j’imagine que depuis dimanche, vous avez eu votre compte de souhaits. J’aurais aussi pu vous dire à quel point j’aime les débuts d’année, leurs promesses que l’on ne tiendra pas et les rêves que l'on fait. Les espoirs que l'on place à des endroits charnières, les élans qui nous meuvent. C'est sans doute ce qui compte dans les débuts d'année : la possibilité de se réinventer et d'oublier ce que l'on a été et que l'on ne veut plus être. La possibilité d'être autre. Pas tout à fait la même mais pas vraiment différente.
Voilà, à part ces considérations extrêmement importantes sur les débuts d’année, je me faisais la réflexion il y a quelques jours, que j’avais perdu des mots. Je ne sais pas où ils sont planqués. Dans mon enfance sans doute. Je ne vois que ça.
Par exemple, quand j’étais petite, Maminette avait un chat. Je ne me souviens pas vraiment de lui, ni de sa couleur ni de son nom. C’était peut-être une chatte d’ailleurs. Sans doute qu’on l’appelait Minou, ma grand-mère appelait tous les chats Minou. Par contre je me souviens parfaitement de ce qu’il mangeait. Mami attrapait un truc informe dans le réfrigérateur, elle le découpait grossièrement à l’aide de ses gros ciseaux de cuisine (ça faisait un bruit spongieux un peu écœurant). Elle le déposait dans une petite assiette (et j’avais très peur qu’ensuite elle démoule mon petit suisse dessus) et appelait le chat : “viens manger, le mou est prêt. » L’animal arrivait et mâchait longuement la chose (avec un bruit horrible). Je détournais la tête dégoûtée. Je ne savais pas ce qu’était le mou (du poumon que lui donnait le boucher apprendrais-je bien plus tard) mais la vision de la chair crue et sanguignolente me révulsait. Une éternité que je n’ai pas entendu ce mot. Le mou du chat.
Ma copine Sandrine, c’est la presque sœur de mon enfance. Nos pères étaient meilleurs amis et nous passions nos vacances à Cadaquès sur une plage où à l’époque nous étions seuls au monde. Nous rêvions d’enjamber le mur d’enceinte qui séparait notre plage de la maison de Salvador Dali. On racontait qu’il possédait une fontaine de Coca. Mazette, qu’elle disait Sandrine et puis peuchère, aussi facilement que je disais “c’est bête, non ?” Une éternité que je n’ai pas entendu ces mots dans une véritable conversation.
Petite, j’étais la championne toutes catégories du malaise vasovagal. Dans la bouche de mon père ça ressemblait un peu à une incantation : « Elle a encore fait un malaise vasovagal ». C’était assez joli à entendre même si je ne comprenais pas ce que ça voulait dire. Vaso signifiait-il que j’étais vaseuse ? Vagal que je regardais trop dans le vague, là où tout se passe ? Bon, en gros ça voulait dire que je faisais une chute de pression du sang propulsé par le coeur. Vaseuse, je l’était donc et mes yeux fermés ne fixaient que le vague (mais je vous rassure, je sais parfaitement que ça n’a aucun rapport avec la formation de ce terme. J’avais seulement besoin de donner des explications). Je ne fais plus de malaise vasovagal et ça fait au moins quatre ans que papa ne dit plus ce mot.
« Passe-moi le Donge » disait ma sœur quand nous prenions le bain dans la baignoire familiale alors que nous avions six et huit ans. Elle aspirait tous les e, ce qui donnait à peu près « pass’ moi l’ donj’». Sa capacité à modifier son accent m’amusait beaucoup, moi qui appuyais sur chaque lettre puisque si elles sont là c’est pour être prononcées. « Passe moi le Donge ». Dans sa bouche Donge signifiait « le savon », c’était la marque de celui que maman achetait. Dernièrement à la faveur de travaux dans le centre commercial où je fais mes courses, j’ai redécouvert cette marque. J’en ai attrapé un, l’ai ouvert et fourré mon nez dans la boite en carton pour en sentir l’odeur. Ça sentait l’amande, ça sentait mon enfance. Aujourd’hui quand je suis sous la douche ça sent un peu tout ça parce que j’ai racheté du Donge.
(Personnes sensibles s’abstenir) Maminette élevait des poules dans un poulailler à quelques mètres de ma chambre. Elle adorait les entendre caqueter quand le jour se levait. J’avais très peur de pénétrer à l’intérieur du poulailler et laissais ma sœur, bien plus courageuse que moi, s’y engouffrer et cueillir les œufs encore chauds dans la paille (qui ne sentait pas très bon). Nous mangions donc du poulet fermier (qui était plutôt des cocottes coriaces) le dimanche midi. La veille Maminette plantait un couteau dans le cou de l’animal et recueillait le sang dans une des assiettes creuses qui sont aujourd’hui dans le placard de ma cuisine. Elle ajoutait un filet de vinaigre et préparait une sorte d’omelette sans œuf, ou de crêpe rougeâtre avec le sang simplement additionné de persil, d’oignon ou d’échalote. J’ai dû goûter la mixture, parce qu’il faut toujours goûter ! disait Maminette. L’odeur me faisait fuir de la cuisine et, à ma grande joie, plus personne autour de moi ne parle aujourd’hui de sanquette.
Sacrebleu, carabistouille, zigomar ou sacripant sont bien plus poétiques que nos injures actuelles. Vous ne trouvez pas ?
La question de la semaine :
Quel est le mot qui a disparu de votre vocabulaire ?
La Playlist
Sur une idée de ma fille ainée, j’ai décidé de faire une playlist 2023. Rien d’extraordinaire me direz-vous. Non rien. Sauf que j’ai décrété que j’allais y mettre une musique ou une chanson par jour. Il faudra que je l’ai entendue dans un film, une émission ou une série, elle ne devra pas faire partie de ma bibliothèque et sje ne serai pas obligée de l’aimer. Il faudra simplement qu’elle “me parle” au moment où je l’entends. À la fin de l’année, je voudrais obtenir une couleur musicale de 2023. Parfois je parviendrai à me souvenir du moment où j’ai entendu la musique, la plupart du temps non, mais comme mes listes de lectures lues dressent un portrait de l’année que j’ai vécue, je m’essaie à d’autres autoportraits. J’adore ça, les autoportraits, vous pouvez d’ailleurs en lire certains sur mon Instagram : nathalie_longevial.
Pour l’instant j’ai donc six titres : Au coin du monde de Keren Ann, Shirley Bassey avec Where do i begin, 16 concertos pour clavier de Laurent Aknin, The Last letter de The Blossoms, Dreamers de Claire Denamur et Autumn in New-York de Billie Holliday.
À suivre …
Le Haïku
De temps en temps, j’écris des Haïkus.
Un haïku est un poème d'origine japonaise extrêmement bref, célébrant l'évanescence des choses et les sensations qu'elles suscitent. Il comprend 3 vers (qui n’en sont pas forcément parce qu’il n’y a pas besoin que ça rime)(c’est mieux d’ailleurs si ça ne rime pas). Le premier fait 5 syllabes, le second, 7 et le troisième, 5, à nouveau. Soit, 17 syllabes, en tout. Ni plus, ni moins. Comme je ne parle pas japonais, j’adapte le format et les puristes crieront sans doute au sacrilège. Mais peu importe, j’écris des haïkus et j’aime beaucoup ça. De temps en temps, je vous en partagerai un en espérant vous donner envie d’en faire autant.
Nuages dans la tête / Café au lait / Victoire
Ah tiens un mot dit ce matin et pas compris par ma fille : arrête de faire le Zebulon !
Et du coup chez moi il y avait aussi : c’est quoi ce gloubi boulga ?
Pour ce qui est du mot disparu, je ne sais pas, sûrement un mot de mon enfance, que je n’arrivais pas à dire ou que je transformer en tout autre chose.
J’aime l’idée de la playlist, j’ai essayer l’année dernière, mais très vites, je me retrouve dans ma playlist « titre liker », avec toute les chansons que j’aime, je n’arrive pas à me détacher de ces chansons/souvenirs.