Faut croire que mes errances en terme de sujet de newsletter vous plaisent. Ou alors, qu’une newsletter qui se cherche, comme le dit poétiquement Caroline en commentaire de la semaine dernière, ça vous fait kiffer, parce que cette semaine, j’ai eu un nombre record d’abonnement à la newsletter.
Mercredi, en me brossant les dents, j’ai pensé qu’il faudrait peut-être que je me présente, parce que j’ai tout à fait conscience que lire 60 lettres à la suite, pour comprendre à qui on a à faire, c’est du taf et que peu de gens sont enclins à faire, moi la première. Cette lettre est très longue. Je m’excuse auprès de celles que ça rebutera…
Alors voilà, je m’appelle Nathalie, j’ai cinquante-cinq ans pour encore quelques mois, quatre enfants, deux belles-filles, un gendre et une petite fille, le même amoureux depuis 40 ans et j’habite à Bayonne.
En 1968 j’ai poussé mon premier cri dans une petite ville du sud-ouest, avant de devenir l’ainée de quatre. Très rapidement, j’ai ce qu’il convient d’appeler un “mauvais caractère”, mais que ma grand-mère appelle “un tempérament bien trempé” (je crois que dans sa bouche, c’était un compliment). À 3 ans je baratine la maîtresse parce que je ne veux pas écrire (je lui faisais croire que mon père, médecin, avait interdit que je le fasse) (et elle l’a cru) et je râle dès qu’on me demande de faire un truc que je ne veux pas. À 6 ans, ma mère est désespérée et persuadée que je ne saurais jamais lire ! À la maison, c’est vrai, je lis très mal. Mais j’ai une bonne raison, je ne veux pas être prise en défaut par la maitresse, alors j’anticipe : j’ai trois ou quatre semaines d’avance sur les lectures qu’elle donne à travailler.
Quelque part entre 1968 et 1984 mes parents divorcent. Je me réfugie chez mes amies et mes grands-parents. J’ai un peu de mal avec ça et je jure en vrac : de ne jamais me marier, de ne pas avoir quatre enfants et de ne jamais aller aux Maldives. Je fais le dos rond et j’attends que ça passe. Et je découvre que ça le fait, ça passe.
Avril 1984 : je rencontre un mec. Mon mec. Je fais des études d’histoire de l’art qui ne me serviront à rien. Plus tard, on se marie (heureusement que je n’avais pas promis sur la tête de quelqu’un), j’ai ma première fille alors que je suis en maitrise, elle entend parler de Picasso et Dali toute la grossesse. Ceci explique peut-être cela.
1995 : Je rejoins mon mari et on décide de créer notre marque. Je deviens DRH option couteau suisse. On s’éclate. On grossit. 1, 2, 3, 15 salons de coiffure. Mon deuxième fils naît. Puis j’aurais une fille en 1999 et je rencontrerai mon dernier fils un jour de décembre 2011 à l’autre bout du monde (oui, là encore, heureusement que je n’ai pas juré sur la vie de quelqu’un) (spoiler : je ne suis jamais allée aux Maldives, je n’irais jamais, je le jure … ah, ah, ah)
2015. Un mal être me croque. Je ne sais rien de lui et, aucun médecin ne m'a encore diagnostiqué de burn-out ni ne le fera jamais. À part mon père. Mais peut-on croire un papa qui vous dit que vous allez mal ? Et puis, les chefs d'entreprise sont-ils légitimes à en souffrir ? Ou est-ce un mal qui n'atteint que les salariés, les cadres des start-up ou des multinationales ? Depuis quelque temps, pourtant, quelque chose ne va pas. Je dors encore moins qu'avant. Des cernes squattent mes joues. Je me lève le matin avec une boule dans le ventre, les migraines me tourmentent et le mal de dos m'empêche de bouger. Mon épaule droite a déclaré son indépendance et n'en fait qu'à sa tête, c'est-à-dire pas grand chose et mes oreilles bourdonnent. La nuit, je me réveille en claquant des dents. Je n'ai pas ri depuis une éternité. Ça fait comment de rire ?
2016. Je lis beaucoup de choses sur le burn-out et ce n'est pas ce que j'ai. Non, moi, j'arrive à me lever, à me doucher, à aller au bureau, à faire “comme si” devant plein de gens. Même si je ferme systématiquement la porte de mon bureau qui, auparavant était tout le temps ouverte, même si je suis incapable de pleurer, je n'y vois aucun signal. Pourtant au bout de l’année, nous prenons LA décision : on arrête et on vend notre chaîne de 15 salons de coiffure. On va se réinventer. On a des choses à sauver. "Nous" par exemple. Lui, il veut continuer et je le laisse faire, mais je change de vie, ça va être facile, tu vas voir. “Et tu vas faire quoi ?” Je vais écrire et déménager. Sans doute dans un ordre différent, genre déménager et écrire, mais je veux essayer. Je mets 250 kilomètres entre avant et après. Les premiers mois sont pires que tout. Mauvaise idée de tout larguer en plein burn-out ... Je ne dors pas mieux, mais je n'ai plus mal au dos. Faut dire qu'on a acheté un nouveau lit. Je n'arrive pas à écrire. Je prends un coach avec lequel je ne m'entends pas du tout. C'est mal barré.
2017. Je termine mon premier roman. Parce que la vie ne suffit pas. Je suis pleine d'espoir. Le coach que je n'aime pas prétend que c'est un très bon roman, mais que, à moins de connaitre des gens dans le monde de l'édition, je n'arriverai pas à le faire publier. Je le connais, lui, mais apparemment ce n'est pas suffisant. Je suis incorrigible et remplie d'espoir : ça va le faire. Je vais trouver une maison d'édition et faire de ce roman un best-seller. On ne peut toujours pas me parler de coiffure sans que je ressente une vague d'effroi froisser mon ventre. Je laisse le blanc envahir mes cheveux et tant qu'à faire, je les laisse pousser.
2018. Aucune maison d’édition n'a souhaité éditer mon roman. Le coach que je n'aimais pas avait raison. Alors, je l'autoédite, la trouille au ventre. Pour que ça fonctionne, il faut avoir un réseau et je n'en ai pas. Très vite, je comprends que réseauter c'est un métier et je n'en connais pas les ficelles. Il faut aussi communiquer et je ne suis pas très douée . Je vends le livre à ma famille et quelques amis, à deux ou trois inconnus, peut-être sur un malentendu. Il a de bons retours mais les ventes ne décollent pas. Il fait partie des finalistes du Prix des Étoiles- Librinova. Bien sûr, il ne gagne pas, mais j'affronte des moments bien plus compliqués que ceux-là, parce que, Papa a un cancer.
2019. Papa n'a plus de cancer parce que papa n'est plus là. Comme chaque fois que quelque chose me tourmente, j'écris à son sujet et ce sont 150 pages qui jaillissent de mon clavier. 150 pages c'est peu, sans doute pas assez, alors je l'auto édite lui aussi. J’entends de “vrais” écrivains prétendre qu'ils ne pourraient jamais auto éditer parce qu'ils ne sauraient pas faire. Moi non plus, je ne sais pas, mais je n’ai pas le choix parce que je veux partager mes histoires, et celle-là me tient à cœur. Je l'auto édite pour qu'elle existe, je l'auto édite parce qu'elle ne rentre dans aucune case. Je l’auto édite parce que, justement, je suis en train de devenir écrivaine et que personne n’a le droit de dire le contraire. J’étouffe mon égo qui voudrait de la reconnaissance de la part de ses pairs et je commence à incriminer mon âge, mes cheveux blancs et la ménopause de m’empêcher de faire mon trou dans la littérature.
2020. Nous sommes retournés au Vietnam et depuis notre retour d'Hanoï, l’idée d'écrire un roman avec les textes issus de mon blog Vent fort, Mère agitée, (blog sur la procédure d’adoption que nous avions initiée) et qui était paru sous forme de petit livre jaune en 2012, ne me quitte pas. Le roman intitulé Les Mèreveilleuses voit le jour. Je l'envoie à des ME, mais sans aucun retour. J'en ai pris mon parti, il parait que je n'écris que sur des sujets de niche, qui ne parlent à personne : l'écriture, la mort et l'adoption. “Et puis quoi encore, tu voudrais pas écrire sur le Bitcoin aussi ?” me dit mon fils ainé en se marrant. En mars 2020, au moment où le confinement se profile mon mari me demande : "Tu pourrais pas écrire un bon feel-good ? Ou un policier ?" Je crois qu’il craint de passer plusieurs mois enfermé avec une auteure inconnue et déprimée. Alors, je m'y mets. Dans mon lit. Je commence une histoire de papillons dans le ventre qui raconte l’amour au long cours. Puis, j'auto-édite Les Mèreveilleuses qui sort en mai 2020. En pleine pandémie. Je n'ai pas un sens du timing très affuté. Pendant une visite chez Dali à Cadaquès, je suis contactée par une ME qui adore ce roman et cette histoire de fil rouge. "Ce n'est pas courant un roman sur l'adoption. Il a fait l'unanimité du comité de lecture. Cinq personnes l’ont aimé, c'est vraiment bien !" me dit-on. Ils veulent le publier en décembre. Whaow ! Je n'en reviens pas. Alors, ça arrive ? Un jour on dit "mon éditrice" ? Mon histoire de papillons dort tranquillement dans un tiroir de mon bureau. C'est la fin de l'été, je me remets à écrire. Parfois je me fais penser à une serial writer.
2021. Ma fille ainée me pousse à envoyer mon roman sur les papillons ce que je fais le 6 janvier. Le même jour, j'attends toujours que Les Mèreveilleuses soit publié. Ce bouquin subit des dizaines de retards et autant d'explications plus ou moins foireuses. L'idée que la ME le soit réellement, foireuse, s'insinue en moi, mais je ne veux pas y croire. Ça ne peut pas m'arriver, pas à moi. Quand le 6 février, Eyrolles m'appelle pour me proposer d'éditer Des papillons sous oxygène, je reste sans voix et sur la défensive. Un mois plus tard, je demanderai à récupérer mes droits sur Les Mèreveilleuses et deux mois plus tard la ME disparaitra, laissant ses auteurs désemparés. J'ai (bien sûr) accepté la proposition d'Eyrolles. Être entourée et conseillée, ça me porte, j’ai toujours préféré le travail en groupe. Au bout des 172 relectures, je n'en peux plus de cette histoire, mais je peux enfin respirer : je n'ai pas fait tout ça pour rien, arrive un moment où ça marche. Je peux poser mes bagages. J’ai une éditrice.
2022. Des papillons sous oxygène sort en février. Un peu inaperçu. Encore. Peu de retours si ce ne sont ceux de mon entourage et des lecteurs qui me suivent depuis mon premier roman. Je fais des salons et des dédicaces où il m'arrive de ne pas croiser un seul lecteur. Je crois bien qu'il ne se vend pas. On me dit que c'est la faute à la conjoncture, à la guerre en Ukraine, au prix du gaz, aux suites du Covid. Putain de timing. On me dit que pour les autres auteurs c'est pareil. On me rassure en me donnant leurs statistiques de ventes, mais ça ne me rassure pas du tout. Ils ont toujours plusieurs zéros à leurs compteurs. On me dit des tas de trucs très gentils, mais comment croire autre chose que : "mon livre n'est pas bon". Je me remets pourtant à écrire. Un peu comme une addiction. Comme un gouffre à remplir. Y croire encore. J'écris une autre histoire qui se passe au Pays basque, une histoire de parentalité. Ce roman s’appelle Rendez-vous à Héyo. Je crois que c’est encore un feel-good. Je me résigne parce qu’en ce moment j’ai besoin d’histoires qui finissent bien. Je termine l’écriture d’un roman historique et l’envoie dans des ME. Il reçoit de super retours, mais aucune ne dit oui. Mes cheveux blancs, sans doute.
2023 : Mes bagages à peine posés chez Eyrolles, me revoilà SDF de maison d’édition. Ils ont refusé Rendez-vous à Héyo. Alors, vous avez compris ? Je l’autoédite. Je dessine sa couverture, je crée la quatrième de couverture. Il sort le 12 juin, comme tous les livres que j’auto édite, parce que le 12 juin c’est la saint Guy et que Guy, c’était mon papa. L’engouement pour cette histoire est immédiat. Les lecteurs s’en emparent, les blogueurs l’adorent, les libraires me le demandent. Je reçois chaque jour des retours de lecteurs qui m’enchantent. Tout le monde réclame la suite. Elle est fastidieuse à écrire : trois manuscrits d’environ 80 pages pourraient le devenir, mais le succès du précédent me coupe les ailes. Et si je ne réussissais pas à retrouver le chemin du village ? Et puis, auto éditer n’est pas aussi limpide que je le voudrais et m’entrave beaucoup. Il me manque toujours un truc (même si pour une fois, ce n’est pas la rémunération). En même temps Des papillons sous oxygène sort en poche. Je le retrouve un peu partout dans les librairies où je rentre. C’est la troisième vie de ce roman qui est paru aux Éditions Feyriane en gros caractères.
Je fais deux salons et quelques dédicaces, des interviews et des podcast, je rencontre d’autres autrices. Je croise beaucoup de monde. J’accompagne maintenant auteurs aguerris et néophytes dans la rédaction ou la relecture de leur manuscrit. J’adore ça, mais ne me sens légitime qu’au bout de l’année. Il aura fallu accompagner 6 personnes pour que j’arrive à penser que peut-être, j’ai bien dit peut-être, je suis douée dans cet exercice et que je m’y sens à ma place.
En novembre 2023, on me propose un super projet pour Rendez-vous à Héyo, je ferme les yeux, me bouche le nez, et plonge. Qu’est-ce que je risque ? Quelques jours après, j’apprends que Des papillons sous oxygène a été “acheté” par France Loisirs, je valide la couverture en trois minutes : ils sont pressés. Le roman doit sortir dans un mois, pour Noël. Les ventes en poche sont inespérées.
2024 : Je travaille sur 3 romans qui ont tous 80 pages. Normalement, si j’abandonne à ce stade, c’est mort, je vais perdre le fil et l’histoire va s’envoler ailleurs. Je m’oblige à écrire tous les jours et je cherche l’endroit le plus approprié. Le salon ? Non. Le bureau ? Non plus. Mon lit ? Toujours pas. En plus d’être une SDF de maison d’édition, je suis SDF d’endroit où bosser. Mais 2024 sera une belle année et “ils n’auront pas ma joie” (mantra écrit sur le mur de mon bureau), parce que cette année, je me marie !
Bienvenue dans ma newsletter (suite la semaine prochaine)
Je vous embrasse,
Nat
Ce qu’aimeraient savoir les copines :
Virginie : Quel est ton talent inutile ? *c’est important à savoir, au cas où* Ou sinon, le livre ou le film en premier ? Quand j’ai soumis l’idée du super pouvoir, immédiatement après, j’ai pensé au podcast Chapitre 2 enregistré il y a quelques semaines dans lequel j’en parle. Et comme il est vraiment incroyable (teasing de la mort qui tue) je ne peux pas vous en parler maintenant. Non, il te faudra attendre qu’il sorte… Donc, mon film préféré : Itinéraire d’un enfant gâté, même si je pleure dès les premières minutes, même si j’en aime plein d’autres, c’est celui-ci qui me vient toujours à l’esprit.
Lucile : Ah, moi j’aimerais bien savoir comment tu fais pour être aussi solaire, même quand les sujets que tu abordes sont nostalgiques ou graves ( en fait je te demande ton super pouvoir là😅) : ah, ah, ah
Cécilia : Qu’est-ce qui te donne envie d’avoir envie ?? Un truc très bateau je crois bien : l’amour. De ce que je fais, des gens qui me font confiance, de moi.
Céline : Je veux tout savoir, ce sur quoi tu travailles, quel est ton super pouvoir, et surtout connaître tes difficultés et justement en quoi ton super pouvoir t'aide à les surmonter. Et puis, revenir sur ta vocation de romancière...
Mes projets pro en 2024 : terminer une suite à Héyo parmi les trois initiées. M’occuper de l’édition de deux romans. Faire aboutir le projet que l’on m’a soumis en novembre pour Héyo (c’est en bonne voie, j’en ai eu la confirmation hier) et être ouverte aux opportunités.
Mon super pouvoir : J’ai cherché ce que ça pouvait être et la seule chose qui me soit venue à l’esprit c’est “être consciente que tout passe !” Les bonnes choses (donc il faut savoir les voir et les entretenir) et les mauvaises également. Même si ça prend du temps, même si c’est inconfortable, un matin on se réveille et le nuage noir a commencé à s’éloigner.
Ma vocation de romancière a débuté en 2007 même si avant je rêvais de tomber malade pour écrire un roman en une semaine (mais les chefs d’entreprise n’ont pas d’arrêt maladie). L’attente de notre fils a fait naître en moi un besoin de poser des mots quotidiens sur ce que je vivais, parce que parler adoption avec les gens qui ne côtoient pas le milieu est très difficile. Tout ça se passait sur un blog. Une maison d’édition est venue me chercher pour éditer les textes qui sont devenus un petit livre jaune Vent fort, Mère agitée. Et après ? Je n’ai plus arrêté.
J’adore ! Bon il m’a fallu une petite semaine pour la lire (maintenant que tu ne les lis plus 😉) mais elle valait le coup et je suis à l’heure pour celle de demain ✨
Ca n’a pas paru long du tout ce texte. Je l’ai lu sans reprendre souffle. Un bel élan de vie le parcourre. Merci
Sinon le livre écrit après le décès de ton papa est-il disponible qq part? Mon papa est aussi parti après un cancer il y a bientôt deux ans.