Je me souviens, lorsque j’attendais ma fille ainée, avoir acheté le fameux Laurence Pernoud, le livre censé nous expliquer ce que c’était que d’avoir un enfant, par quelles étapes on allait passer et ce qu’on allait découvrir. Pourtant, il suffisait de tendre l’oreille pour que tout le monde ait un avis sur la question, ce qu’il fallait faire ou ne pas faire, dire ou ne pas dire.
Je ne crois pas avoir suivi grand-chose de ce qu’elle préconisait. Je ne sais même pas si mon gros ventre et moi l’avons réellement lu. Non, pour être honnête, ce livre fait partie de ceux que j’ai achetés sans jamais les ouvrir : tout me paraissait bien trop compliqué, chaque étape ainsi disséquée au microscope me semblait devenir un Everest. Alors, j’ai préféré faire selon mon instinct.
Un jour, j’ai eu un deuxième enfant et j’ai découvert, que je ne n’étais pas la même maman pour lui. J’ai eu le même constat avec les suivants. Cela ne tenait pas au fait que les unes soient des filles et les autres des garçons, non, c’était autre chose, une alchimie entre deux personnalités. Deux territoires qui se confrontaient. Une danse pour laquelle chaque partie tentait de s’accorder à l’autre. Tantôt collé-serré, tantôt danse de Mercredi Adams. Il me semble que j’ai été quatre mamans différentes avec quatre façons de faire, les découvrant parfois diamétralement opposées.
Depuis Freud, on s’intéresse à la relation entre enfants et parents, stigmatisant les mères quand elles sont possessives, les stigmatisant encore quand elles ne le sont pas assez. Rarement on s’intéresse à la relation nouée avec nos enfants une fois qu’ils sont devenus des adultes. Pourtant ça dure beaucoup plus longtemps et c’est tout un art. C’est pourtant tout un art. Le parent est censé accompagner l’enfant vers l’âge adulte et l’autonomie. Et donc, que devient-il une fois la mission accomplie ?
C’est un sujet qui me passionne : quelle mère suis-je pour mes enfants devenus adultes ? (et c’est d’ailleurs le sujet de mon prochain roman “Rendez-vous à Héyo”, dont la sortie est prévue pour juin 2023.)
Il n’y a pas grand-monde pour vous prévenir du changement qui va s’opérer. Peut-être parce qu’avec l’âge on a compris qu’il n’y a pas de règles et que chacun fait bien comme il peut. Depuis mon rendez-vous manqué avec Laurence Pernoud, j’ai pourtant appris une chose : à suivre mon cœur et faire confiance à mes enfants. Je leur a enseigné nos valeurs et ils sauront les mettre en œuvre. Il n’est pas question ici d’un amour sans faille ou désintéressé avec ma progéniture. Non, bien au contraire, il s’agit de prendre conscience qu’on a fait le job et que maintenant, c’est à eux de jouer. Ils se planteront comme nous l’avons fait , et alors ? C’est leur vie, leurs choix et une fois qu’on a compris ça, on respire bien mieux.
C’est quoi être parent d’un enfant adulte ?
La principale problématique il me semble c’est qu’on n’apprend pas aux parents à ne plus l’être. Vingt ans qu’on explique ce qu’il faut faire et comment et avec qui et pourquoi et voilà que maintenant on ne pourrait plus au risque de paraître intrusif. De plus, le passage de l’enfant à l’âge adulte s’accompagne souvent d’un sentiment d’inutilité. Il y a donc un réel changement à opérer. Pour le bien des deux parties.
La première étape est de reconsidérer la relation. Oui, ils resteront toujours nos enfants. Oui, on s’inquiètera toujours pour eux. Oui, on sera toujours émotionnellement concernés par ce qui leur arrive, mais non, on ne détient plus la vérité et même si notre expérience nous indique que dans telle ou telle situation il risque se brûler les ailes, il faut le laisser faire ses propres expériences. Vous savez, c’est le truc de l’expérience qui n’éclaire que son propre chemin (Lao Tseu)
La deuxième étape consiste à se dire qu’on a fait le job et que maintenant on est en reconversion. Jamais en retraite. Maintenant, il s’agit d’écouter, de soutenir, de lui donner des pistes de réflexion.
La troisième ? Accepter qu’ils puissent avoir raison et nous faire vaciller sur le socle du tout sachant parental.
Alors, quelle mère suis-je ou plutôt quelle mère est-ce que je crois que je suis ?
1) J’écoute : J’écoute plus que je ne parle et je ne dis pas toujours ce que je pense. Je suis super forte en hum hum, je ne coupe pas la parole (enfin, j’essaie) et je tourne vingt fois ma langue dans ma bouche (je sais que la norme c’est sept, mais vingt, c’est pas mal non plus) parce que je sais surtout qu’il n’y rien de pire que de regretter un mot de trop.
2) Je sais attendre le bon moment : ce dont il ne faut pas parler ou du moins, pas pour l’instant. J’accepte les zones grises. J'ai appris à lâcher du lest, à ne pas tout savoir d'eux, parce que c'est ça la vie de parents, leur laisser vivre la leur.
3) Je respecte leur indépendance : Ils sont libres de prendre leurs propres décisions. Ne pas travailler avec telle marque parce que, éthiquement parlant elle ne correspond pas à ses valeurs, continuer à travailler à un poste parce qu’il faut bien manger et mener de grands projets par ailleurs, accepter qu’il change d’orientation professionnel parce qu’il a besoin de donner du sens à ce qu’il fait.
4) Je laisse “p!sser” : L’autorité ? Non, vaut mieux faire une croix sur cette notion. Elle n’a plus aucun sens quand les enfants sont grands (je ne sais d’ailleurs pas vraiment si elle en avait quand ils étaient petits…). Il n’y a plus de notion de pouvoir non plus. Je ne détiens plus aucune clé, et s’ils préfèrent travailler la nuit et dormir le jour (mes enfants sont artistes free-lance) c’est leur vie.
5) Accepter le nouveau monde : pour ma première, je me souviens avoir été déstabilisée quand elle me disait avoir rencontré telle ou telle personne. Comment ? Mon bébé, élevée dans quarante-deux hectares de champs, au milieu des pâquerettes et des jonquilles, connaissait des personnes que je ne connaîtrais jamais ? Aujourd’hui je ne suis plus au centre de leur monde. La galaxie a évolué. Régulièrement les circonvolutions font se croiser nos mondes, et puis à nouveau, une éclipse.
6) Je suggère : Je ne donne pas mon avis. Je n’interviens que rarement dans leur prise de décision sauf si on me le demande expressément et le plus souvent, mon rôle consiste à calmer le jeu et à faire le tri pour que la solution vienne d’eux.
7) Si parfois je ne réagis pas comme ils l’auraient voulu, je m’excuse.
8) et surtout, j’essaie de faire preuve d’humour.
Quelques trucs qui n’ont pas changé depuis qu’ils sont petits :
1) Je leur dis toujours que je les aime et que je suis fière d’eux et de l’adulte qu’ils sont devenus.
2) Je fourre toujours mon nez dans leur cou pour renifler leur odeur.
3) Je suis toujours capable, sans l’aide d’aucun thermomètre, juste avec mes lèvres sur leur front, de connaître leur température au dixième près.
4) Je sais au ton de leur voix s’ils vont bien ou pas.
5) Je suis capable de savoir quel est l'enfant qui se penche sur moi, même quand je ferme les yeux.
6) Si mes enfants s'engueulent entre eux, la seule chose à faire est de quitter la table et de les laisser trouver leur solution.
7) En vacances, quand nous partons en tribu de 8 adultes et un ado (une semaine par an en été) j'ai toujours le truc qui leur manque. Le produit solaire qui va bien, la batterie de téléphone supplémentaire, un roll-on anti stress, le produit à boutons miracle ...
8) Je sais toujours quoi leur préparer avant qu'on s'installe sur le canapé pour papoter. Le plus souvent c'est un grand verre de coca, mais de façon très étonnante, si je propose un chocolat chaud, un Earl Grey ou une verveine du jardin, ils me répondront "oh c'est exactement ce dont j'avais envie..."
9) Je suis toujours celle qui veut leur faire découvrir la dernière expo géniale… sauf qu’à Bayonne alors que mes filles vivent à Paris, c’est devenu assez compliqué.
10)Je ne joue toujours pas aux jeux de société à part l’été, lors de notre semaine en tribu.
Et vous quels parents êtes-vous pour vos enfants devenus adultes ?
Bonne journée
J’espère que je deviendrai celle là : à la bonne distance pour continuer à échanger sur tout avec elle et sentir que mon avis compte même si elle ne le suit pas .
Ton sujet m’interpelle. J’ai mon idée mais je vais demander à mes grands enfants...