Je vous disais récemment sur Instagram, que le premier métier que j’ai voulu faire c’est metteur en scène. C’est venu après avoir vu l’Avare de Molière au théâtre de Villeneuve sur lot en classe de cinquième. L’Avare, c’était Roger Louret, co-fondateur avec Marianne Valéry et Nicolas Marié des Baladins en Agenais. Sur la scène, ça sautait, ça virevoltait, c’était follement vivant. Et moi, dans la salle, je vibrais.
J’ai tanné mes parents pour qu’ils m’inscrivent au cours que donnait Marianne. Mais c’était loin de chez moi et mes parents, en plein divorce, n’avaient pas envie de perdre une heure et demie par samedi pour faire l’aller-retour. Ils m’ont donc inscrit chez un vieux monsieur qui postillonnait beaucoup et qui me faisait faire des exercices de diction pendant que son épouse saluait le soleil. Je répétais à l’envi : petitpotdebeurrequandtedépetitpotdebeurreriserastu? jemedépetitpotdebeurreriseraiquandtouslespetitspotsdebeurresedépetipotdebeurreriseront. Ou bien l’histoire des chaussettes de l’archiduchesse ou du chasseur et de son chien. J’allais chez lui à pieds. Il habitait à sept maison de la nôtre. C’était facile. Il m’a fait jouer le rôle d’une jeune fille cathare sur le parvis de l’église de Pujols. Je ne me souviens d’aucune réplique.
Fort heureusement, les ado étant ce qu’ils sont, j’ai fini par intégrer les bancs du Théâtre de Poche à Monclar d’Agenais. J’y ai rencontré mes amis de trente ans… enfin de quarante serait plus juste. J’aimais bien ces samedis après-midi. Bien, n’est peut-être pas le terme adéquat. J’aimais beaucoup ? Non, ça ne convient pas non plus. J’aimais. Voilà, j’aimais ces samedis après-midi que nous passions, assis les uns sur les autres, sous l’oeil affuté d’Huguette. Là-bas, je suis montée sur scène pour déclamer du Tartuffe. Le soir de la représentation, ma robe était mal agrafée et menaçait de tomber à chacun de mes pas. Je n’en avais pas conscience. J’étais Mariane, l’amoureuse de Valère. Mon cœur battait la chamade. “Qui voulez-vous mon père que je dise qui me touche le coeur et qu’il me serait doux de voir devenir mon époux ?” Quand je dis la réplique, je retrouve instantanément l’intonation, le phrasé et la posture que j’avais lors des représentations. Depuis, j’aime tout Molière. Je sais, c’est clivant, mais je n’y peux rien c’est comme ça. J’assume. J’aime tout Molière parce que Molière c’est Roger Louret. Enfin, c’était Roger. Là-bas, j’ai participé aux Nuits du Théâtre. Une folie où le village de Monclar se transformait en théâtre géant la nuit du solstice d’hiver et où les spectacles s’enchainaient pour finir dans un tourin géant pris à six heures du matin, comédiens et spectateurs mélangés.
Là-bas, j’ai joué au tarot, servi des cafés, refait le monde, rêvé à ce que ma vie pourrait être. J’ai embrassé, serré dans mes bras, pleuré. Là-bas, sur les sièges du théâtre usés par les jeans d’ado rêveurs, j’ai laissé un bout de mon adolescence.
Roger est mort mercredi. Je n’aime pas le mot décédé. Ni parti. J’aime les mots qui parlent vrai. Alors voilà, Roger est mort. C’était un type aussi génial qu’agaçant, aussi extraordinaire que grinçant, aussi magique qu’horripilant. Son nom ne vous dit peut-être rien, pourtant c’est lui qui a mis en scène les premiers spectacles de Muriel Robin, Pierre Palmade, certains de Guy Bedos ou les vendredi soirs de Jean-Pierre Foucault avec Les années Tubes. Nommé neuf fois aux Molières, c’est quelqu’un qui donnait envie d’avoir envie, il nous embarquait dans sa folie, on rêvait d’avoir son panache, son audace et son sens du travail. C’était surtout un immense découvreur de talent et vous n’imaginez pas le nombre de ses “petits” que vous regardez aujourd’hui sur scène ou sur un écran et que j’ai eu la chance de croiser dans le noir du Théâtre. Je ne les citerai pas, j’aurais bien trop peur d’en oublier.
Si je l’avais revu, peut-être m’aurait-il demandé qu’elle était mon excuse cette fois-ci pour ne pas jouer mon one-woman-show. Alors, promis Roger j’en parle très vite à mon metteur en scène (ça claque, non ?) Parce que oui, mon metteur en scène est au courant et il m’attend.
Je ne pensais pas du tout vous parler de Roger aujourd’hui. On m’a dit, on m’a répété qu’il fallait que j’écrive des newsletter intéressantes et encore une fois, j’ignore si celle-ci l’est, mais c’est comme ça. Parfois, il y a des interruptions de programme, et je fais avec, car depuis mercredi, nous sommes nombreux à semer des graminées parce que mercredi, Roger est passé derrière le rideau rouge.
La grève
Cette semaine j’aurais dû vous parler de la grève que j’ai entamée il y a … une semaine déjà. C’est une grève qui ne crée aucun problème collatéral à personne. Pas de retard de train, de gosses à garder ou d’embouteillages. C’est une grève contre moi-même, ce ne sont jamais les plus simples. Sans doute vous en parlerai-je la semaine prochaine.
La chanson en boucle de la semaine
Une qui me fait me trémousser le matin dans la salle de bains, vers 10h dans mon bureau, en allant chercher le courrier ou en sortant les poubelles … et vous ? (le clip n’est-il pas kitsch à souhait ?)
Et sinon,
Et sinon, de quoi voudriez-vous que je vous parle ? D’écriture ? De lecture ? De la quinqua power ? De la vie ? De mes inspirations ? Dites-moi, ça m’aidera … Est-ce que des newsletters intimes comme celle-là, vous aimez ?
Et surtout,
Dites aux gens que vous aimez que vous les aimez, même s’il n’y a chez vous aucun accès d’allergie aux graminées.
Je vous embrasse,
Nathalie
Ps: Je déteste écouter ma voix, entendre mon accent du sud-ouest que je n’arrive pas à perdre et que j’ai musclé avec l’accent basque qui accroche les R, mais j’ai tout de même enregistré la newsletter. Vous remarquerez le lapsus entre conscience et confiance <3
La quinqua power j'adooooore
C'est vrai que c'était pénible ces allers retours à Monclar mais on avait fini par trouver des raccourcis. Moins pénibles que les entraînements de basket de ta sœur
Quelle belle façon de rendre hommage à Roger ,c’est vivant et rythmé, c’est très agréable (et en prime ça repose les yeux ).
Sinon... C’est quand que je prends un billet pour aller voir Nathalie ‘s one woman show ?
( je prends la relève de Roger 😉)