Quand j’ai commencé à écrire, j’avais de grandes théories. J’avais lu des tas d’écrivains qui racontaient leur activité sur des dizaines de pages. J’avais pris des notes (je suis super douée en prise de notes) que je compulsais chaque matin avant de m’asseoir à mon bureau de cheffe d’entreprise. Pendant la journée, des gens (surtout des femmes) s’installaient face à moi et nous discutions de leur parcours, nous faisions des projections, nous imaginions une autre façon de travailler. J’avais un mantra que je dégainais à tous ceux qui s’y frottaient : “fais-toi plaisir! ” Et j’y croyais dur comme fer, persuadée que les choses ne fonctionnaient que si le plaisir était à leur origine. “Fais-toi plaisir et le reste viendra”. “Fais-toi plaisir et tu n’auras pas l’impression de travailler” (personne ne m’a jamais attaqué pour publicité mensongère…ouf ! ) “Fais-toi plaisir, s’il est à l’origine de tes actions, la réussite sera forcément au bout”.
J’appliquais ce précepte à ma petite personne en lui ajoutant une carte : sachant que le cerveau est incapable de faire la différence entre le réel et l’imaginaire (en gros, il est manipulable par raccourci rapide et traite les informations qu’il reçoit consciemment et inconsciemment) j’imaginais alors être un écrivain à succès et comme les athlètes de haut niveau avant une compétition refont le parcours en pensée, le soir, je fermais les yeux, prête à ressentir les sensations que procurait l’écriture. Je m’imaginais saisie par l’inspiration et toute frétillante inventer des histoires qui plaisaient aux gens. J’écrivais toute la journée et même la nuit. Je riais aux éclats et pleurais à chaudes larmes en écrivant. C’était un cliché comme un autre, auquel se raccrocher pour être sure d’être écrivaine.
Des clichés, il y en avait d’autres : avoir un chat, boire beaucoup (du café ou de l’alcool fort) fumer des cigarettes (sans filtre c’était encore mieux) et oublier de se laver et trainer en pyjama sale toute la journée était la panacée. Il aurait fallu que je m’enferme en haut de mon donjon, que je refuse de voir mes amis, que je confonde le jour et la nuit et que j’oublie de répondre à mon fils quand il me posait une question. La recette pour devenir une écrivaine était simple.
Mais, je n’ai pas réussi (spoiler : je ne suis pas écrivain à succès)(et souvent, mon syndrome de l’imposteur, appelons-le Hubert, insinue que dans la phrase “je ne suis pas un écrivain à succès”, je pourrais aussi rayer le mot écrivain) (quel culot il a celui-ci ! ) Si je n’ai pas réussi, c’est uniquement de ma faute : je me lave et m’habille chaque matin. Je ne bois ni alcool, ni café (pas même du thé)(je me demande si le coca, ça fonctionne ?) Je n’ai jamais fumé (et ça aurait été bête de commencer maintenant). Chez moi, la seule pièce qui corresponde à l’image du donjon est la chambre de PetiteChérie et je préfère qu’elle y laisse ses affaires, même si elle ne l’habite plus. Quant à ne pas répondre à mon fils, j’aime tellement nos moments de bavardage que je ne les louperai pour rien au monde (il faut savoir les saisir au vol, à 15 ans, un ado a autre chose à faire que papoter avec sa mère).
Quand j’ai commencé, j’aurais voulu écrire des choses intelligentes. Des livres à la couverture blanche que l’on trouve dans les bibliothèques des gens bien comme il faut. J’aurais voulu écrire des livres qu’on se serait prêté en disant, des larmes aux yeux et la main sur le cœur « tu vas voir, il est génial », des livres qui auraient été des coups de cœur de libraires et auraient squatté les tables de nuit.
Tu vois, j’avais des idées bien arrêtées sur ce à quoi ça ressemblait d’écrire. Ce qu’on devait ressentir en le faisant, pourquoi on le faisait, ce après quoi on courrait et ce qu’il fallait écrire. C’était parfait, je n’avais qu’à suivre la route.
Mais j’aurais dû savoir qu’il n’y a pas de recette pour être un écrivain, pas plus que pour un photographe, un peintre ou un chef d’entreprise. Il y a mille chemins et chacun est le meilleur pour celui qui l’emprunte.
Il m’a fallu un moment pour m’écarter du schéma que j’avais en tête. Un long moment pour me dire que j’avais le droit de ne pas être comme les autres, de ne pas faire comme eux, d’inventer ma façon, même si c’était moins austère. Surtout si ça l’était moins. J’ai mis du temps à accepter de ne pas pleurer quand je racontais le triste, de ne pas rire aux éclats aux catastrophes rocambolesques que j’inventais et à accepter de faire tout l’inverse. J’avais le droit de laisser croupir un personnage dans une prison espagnole si je l’avais décidé, même si c’était le préféré des lecteurs. J’avais le droit d’en oublier d’autres au fin fond d’un tiroir sombre et de ne jamais les en sortir et même, d’en tuer certains. Bref, j’avais le droit de ne pas les aimer, mes personnages, et le droit d’effacer vingt pages qui ne me plaisaient pas et même d’écrire une fin que les lecteurs détesteraient. J’ai mis longtemps à accepter que j’avais le droit de ne pas me fondre dans une seule case, d’inventer mon propre territoire : passer de l’auto-fiction au feel-good, du roman historique à la littérature blanche, des Haïkus aux chansons. Et j’avais même le droit d’écrire un one-woman-show !
Depuis trois semaines, je suis en grève. je n’écris plus. Enfin, si j’écris, mais pas des romans. Je garde la porte fermée et j’empêche les loups de sortir. J’ai trois romans de prêts. Ça servirait à quoi d’en avoir un quatrième ? Je suis en grève parce qu’au milieu de cette envie d’écrire, j’avais oublié un truc essentiel. Un truc que j’ai perdu petit à petit. Ça ne m’avait pas fait mal, sinon, tu penses bien que je m’en serai aperçue. J’avais continué ma route sans lui, sans même m’apercevoir qu’il m’avait fait faux bond. Jusqu’à mardi soir. Au sortir d’une Masterclass. (je t’ai déjà dit que j’adore les Masterclass ? Ah, oui)(mais…
pas trop celle-là…) Dans l’envie dévorante d’en être, de faire partie des gens qui écrivent et sont édités, j’avais égaré une donnée essentielle : le plaisir.
(PS personnel : Merci de me l’avoir rappelé)
Question de la semaine
Qu’es-tu fière d’avoir réussi cette semaine (avec plaisir) ?
Merci
Pour vos commentaires à la newsletter de la semaine dernière et à vos nombreux abonnements. Mes newsletters sont un peu foutraques et souvent je me demande si elles ont une ligne éditoriale. Si j’en doute, en revanche, je crois bien que j’ai trouvé mon personnage principal aka la Quinqua. Alors, ici, on parlera de maison mais pas de déco, de cabines d’essayage mais pas de mode, de playlist mais pas de musique…
Les petits riens qui font du bien (et plaisir)
Aller voir la mer
Aller à un spectacle de contes et être entourée par 80 enfants de trois à sept ans qui m’ont fait rajeunir.
Remettre la veste improbable que j’aime tant.
Écouter l’épisode 130 de La poudre avec Melha Bedia, la “Kardashian mixée à Arlette Laguillier” qui rit comme dans un mécanisme d’auto- défense. Sacrée bonhomme que cette jeune femme !
Aller au cinéma voir un film dont j’avais dit “ah, non, celui-là, on n’ira pas le voir…” et avoir passé mon temps à contempler mon fils se bidonner (oui, je sais …)
Acheter le magazine Marie-Claire alors que je ne l’avais pas fait depuis des années et avoir corné les pages en cours de lecture pour y revenir.
Avoir rencontré mon metteur en scène et avoir pratiquement terminé l’écriture de mon one-woman-show.
Vouloir ressembler à Iris Apfel. Chercher des vêtements colorés. Essayer du rose rayé rouge ou du crème rayé jaune fluo. Enfiler une chemise verte et baver devant une jupe à damiers. Me dire que peut-être, peut-être il faudrait que je sois un peu plus âgée pour oser… Ma grand-mère disait que passé un certain âge (je ne sais pas lequel) on se foutait de se que pensaient les gens. Ce n’est pas gagné, mais j’y travaille.
Me dire que la semaine prochaine j’aurais trouvé une pièce qui corresponde à ces codes… ou pas … je vous dirai ça…
Écouter un nouveau morceau de Francis Cabrel (je fais pas encore les choeurs, mais ça va venir…)
Et toi, quels sont les petits riens qui te font du bien ?
Le titre de cette newsletter était-il un de ces titres “putaclic” dont la presse use et abuse ?
Ah ah ah, j’imagine bien la tête de ceux qui ont cliqué sur le lien en pensant que j’allais parler du plaisir charnel des quinquas… ça viendra, mais jamais aussi ouvertement ;) La semaine prochaine, peut-être… qui sait ?
Je vous embrasse <3
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Et le plaisir ?
Hubert tu nous EM........ . !!
Ben oui quoi et si le 4 eme était celui qui t’ouvrait les bonnes portes pour les 3 précédents, ( et je ne comprends toujours pas particulièrement pour Doro. )
Bon t’es pas tout à fait en grève non plus puisque tu reviens avec cette News letter c’est mon petit plaisir a moi . Qui vient s’additionner à d’autres petits plaisirs personnels : cette semaine il y a eu bien sur la sensation d’apaisement que procurent les paysages enneigés, la sensation de glisse parfaite avec le crissement de la neige sous les skis , le vent frais de la vitesse sur les joues et le sourire des miens après une belle descente. L’odeur du sauna et la sensation de détente molle que cela procure .
Hubert tu nous EM...!!
Elle a bien raison, moi non plus je ne comprends pas .
Mais cette semaine j'ai fait qqchose qui m'a fait plaisir, rendue très fière même si mon dos n'était pas d'accord. Assembler des carrés, petits bouts de tableaux, est très gratifiant et le résultat est bluffant. J'ai hâte de le terminer, demain peut-être.
Quant au ce qu'en disent les autres il y a belle lurette que je ne m'en soucie plus, ça repose.
Bonne semaine, vivement vendredi prochain ce serait bien que Hubert te lâche la grappe.