Chère lectrice, cher lecteur,
Je ne pensais pas revenir si vite en vous disant que je n’ai pas eu le temps de vous écrire une lettre. Pourtant, mercredi soir, j’ai reçu une demande qui m’a fait pétiller comme une bouteille d’Orangina, mais qui allait me coûter une nuit blanche et une journée d’écriture intensive le lendemain. Je ne m’emballe pas. Ce n’est peut-être qu’une chimère, mais, qui sait, sur un malentendu, j’ai envie de me donner les moyens de réussir.
Alors cette semaine je vous présente Fragments.
Fragments, ça sera peut-être une newsletter payante dans laquelle je posterai des petits textes écrits. Fragments, ça sera peut-être le lieu de parution d’un prochain roman sous la forme d’un feuilleton, comme l’ont fait avant moi Eugène Sue pour Les mystères de Paris ou Alexandre Dumas (toute proportion gardée…)
Bonjour,
Je suis Nathalie LONGEVIAL, romancière, éditrice externe et coach en écriture. Bienvenue dans ma newsletter : “From Baiona with love”. Nous accueillons aujourd’hui parmi les abonnés à la newsletter : Élisabeth, Anh, Pascale, Laurence, Albane, Martine, Alice, Babeth, Angeline, Jacqueline, Alain et Estelle.
Pour le texte d’aujourd’hui, j’ai choisi d’écrire un souvenir de jeunesse au présent, en commençant le texte par nous, les enfants. 3000 caractères maximum, le tout étant scénarisé.
Dans mon souvenir d’enfance il y a des choses vraies et d’autres fausses. Saurez-vous découvrir lesquelles ?
Nous les enfants, nous sommes un groupe. Un clan. Une tribu. La smala comme dit maman. Nous sommes répartis dans les voitures des parents, quatre par banquette arrière. À l’intérieur de l’habitacle, ça fume et ça parle politique, ça chante des chansons de Léo Ferré ou de Bob Marley, ça s’agace et ça se dispute.
Les pères conduisent prudemment pendant que les mères rêvassent. Pour nous, la route est longue et le mal au cœur aux avant-postes. De temps en temps, nos yeux papillonnent et se ferment, guère plus d’une minute ou deux car nous voulons assister au passage de la frontière, voir les soldats coiffés du tricorne et leur fusil porté sur le torse. Nous n'en menons pas large quand ils inspectent la voiture d’un œil torve. Maman dit que s’il y a un moment pendant le voyage où nous devons être sages, c’est maintenant, alors, nous ne bougeons pas. On fait mine de dormir, la tête penchée sur l’épaule, ou on regarde droit devant, sans respirer.
La frontière passée, il ne reste qu’une heure de voiture. Nous allons à Port Lligat, comme tous les ans à l’Ascension. Là-bas, nous revendiquons notre territoire. Du mur en pierres de la maison de Dali, jusqu’aux barques des pêcheurs, c’est chez nous. Notre centre du monde pour quatre jours. Les parents ne s’approchent pas de notre royaume. C’est un pacte tacite. De toute façon, ils préfèrent ignorer ce que nous fabriquons, ils veulent la paix.
À l’abri du soleil, assis sur les galets ronds et chauds, nous fomentons des plans pour passer de l’autre côté du mur d’enceinte et entrer chez le peintre catalan. Tout l’hiver, sur nos écrans de télévision, nous l’avons vu répéter qu’il était fou du chocolat Lanvin. Sa moustache dessinait des points d’interrogation sur ses joues, et fou, nous sommes persuadés qu’il l’est : derrière le haut mur, il y a une fontaine de coca-cola ! C’est dingue quand on y pense, et sous le soleil, nous ne pensons qu’à ça.
Pour l’atteindre, il faudrait prendre l’escalier, ouvrir la porte et ramper sans bruit jusqu’à la fontaine. Facile, le Club des cinq fait ça tout le temps. Ou attendre la nuit comme Fantômette et se glisser entre les ombres mouvantes. Sonner et lui demander poliment ? Feindre un malaise à cause de la chaleur ? Nous parlons fort. Nous gesticulons. Nous nous poussons du coude. Nous avons tous une meilleure idée que nous voulons faire entendre, mais nous ne bougeons pas d’un pouce, parce que tout près, les soldats aux tricornes armés de leur fusil veillent.
Une silhouette vêtue d’une large tunique blanche apparaît et nous dévisage. On perçoit quelques mots incompréhensibles dits en espagnol qui n’ont rien à voir avec les por favor ou gracias que nous avons appris. Les mères, sur leurs serviettes, se redressent. Ça fait comme dans un film : un ralenti. La mienne, la seule à comprendre l’espagnol, lance « eh bien, la smala, vous n’y allez pas ? Mr Dali vous invite à boire un coca ».
Un rire s’élève et la voix tonne : “yé souis fou du Coca-Cola, pas vous ?”
Je vous embrasse, passez un bon week-end.
Nathalie
Alors ? Vous avez trouvé le vrai du faux ? (Maman, ne dis rien ;)
Photo Beaux-Arts juin 2023
Moi je suis cantonnée au silence 😇
La fontaine de Coca cola et Dali qui s’adresse a vous (?