Chère lectrice, cher lecteur,
Jeudi prochain, le 13 mars, sortira mon roman Un tango pour Doro sur lequel j’ai travaillé plusieurs années. Vous dire que je suis heureuse et fière de le voir publié serait certainement un peu rébarbatif. Je vous l’ai déjà tellement dit …J’ai donc opté pour une autre solution : vous donner envie de le lire. Et pour cela, je vous offre le premier chapitre.
Bonjour,
Je suis Nathalie LONGEVIAL, romancière, éditrice externe et coach en écriture. Bienvenue dans ma newsletter : “Vous avez du courrier from Baiona with love”. Nous accueillons aujourd’hui parmi les abonnés à la newsletter : Emma, Greg, Suzie, Armelle, Chloé et Chantal.
“Août 2020
C’était une journée ordinaire de juillet, et la sensation était revenue. Je la connais bien. Elle apparaît quand une idée de roman entre dans mon cerveau, et l’histoire avait commencé à prendre vie dans ma tête. Je tenais mes héros, les grandes lignes de l’aventure et quelques péripéties. Depuis plusieurs jours, elle tournait autour de moi comme une mouche têtue. À cet instant-là, j’ai su que j’allais écouter ce qu’elle avait à me dire. On était à l’endroit idéal pour que je le fasse. Pieds nus sur la terrasse en bois, je regardais les voiliers blancs qui croisaient au large et, augmentée par le calme de la Méditerranée et la chaleur écrasante du milieu d’après-midi, une sensation ouvrit la porte à une forme d’irréalité. Je voyais se dessiner sur l’eau calme les rues d’une ville espagnole inconnue, des ciels chargés de volutes noires, des carcasses de voiture et des chevaux qui tiraient des attelages mal en point. Partout : des femmes et des enfants en guenilles, hébétés, des façades abîmées et des rues défoncées. J’ai pensé à la beauté qui m’entourait et à ma chance d’être ici, en Espagne, alors qu’à une autre époque, des milliers de personnes avaient dû quitter le pays en abandonnant tout, leur vie et leurs morts, et, pour beaucoup, n’avaient jamais refait le voyage à l’envers. Des milliers de personnes, dont Doro et Crescencio, les grands-parents de mon époux.
Il était déjà trop tard pour que je renonce à l’idée d’écrire cette histoire.
Je connais depuis toujours – le toujours de ma vie de couple – la légende familiale selon laquelle ma belle-mère est arrivée en France en 1947, à l’âge de dix ans, en haillons et ne parlant pas un mot de français, accompagnée de sa mère, Doro, et sa sœur, Aurorín. Pendant des années, je n’en ai pas été particulièrement émue. Ma propre vie me prenait pas mal de temps, mes enfants à élever et ma carrière à mener aussi. Et puis, elle-même n’en parlait que rarement et sa fratrie n’y faisait guère allusion. C’était leur histoire, pas la mienne. Pourtant, à l’été 2020, quelque chose s’est modifié. J’ai soudain éprouvé de la honte à avoir négligé le patrimoine émotionnel et psycho généalogique lié à l’hispanité de mes enfants et à l’arrivée chaotique de leurs aïeux en France.
— Je voudrais écrire l’histoire de Pépé et Mémé, ai-je dit de but en blanc à mon mari, Patrick.
— Tu ne connais rien de cette histoire, a-t-il répondu, pragmatique.
C’était vrai. Personne n’en parlait dans la famille, certainement pour ne pas transmettre leur souffrance. À l’époque, on pensait que taire les événements, c’était protéger les enfants. Se taire, c’était aussi oublier, et sans doute tourner la page. Ne pas en parler, c’était faire comme si ça n’avait pas existé.
— Ça pourrait être un roman. Un récit hybride mixant ce que je pourrais glaner et ce que j’inventerais.
Voilà, le mot était lâché. Inventer. J’attendis que Patrick dise quelque chose, qu’il cherche à savoir quelle part de fiction j’allais injecter dans la vie de ses grands-parents, mais il resta silencieux. Alors que je demandais son avis à Corinne, sa cousine, j’appris que son grand-père avait offert à son frère aîné, Régis, un recueil de poèmes. Quelques jours plus tard, je reçus les dix-huit poèmes manuscrits et rédigés en espagnol. De son côté, ma belle-sœur, Ghislaine, m’a raconté une reconstitution hybride des faits : un mix entre ses souvenirs de petite fille qui avait entendu sa grand-mère les rapporter et des hypothèses personnelles, échafaudées à l’aune de ceux de sa propre mère. Ça parlait de prison, de spoliation, d’un arbre tordu sur une placette, d’un quartier de ruelles et d’escaliers, de coups de canif sur le ventre et autres tortures, de pain noir et de churros. Et surtout, elle m’a confié un grand cahier rouge et vert dans lequel Crescencio racontait de façon chronologique sa vie en une vingtaine de pages, brossait sa guerre et exprimait ses doutes. Associé aux poèmes, ce journal allait m’ouvrir les portes de l’intimité de mon héros, et les pages à petits carreaux remplies de l’écriture serrée de Pépé allaient devenir au fil de la rédaction, mon trésor de guerre.
J’ai connu Pépé entre 1984, année où je suis entrée dans la famille, et 1997, l’année de sa mort. C’était un homme replet, plutôt petit, au crâne dégarni, surmonté d’une longue mèche de cheveux jaunis par la fumée de sa pipe, sur laquelle il tirait en déambulant dans la maison occupée par une flopée d’enfants en bas âge. Il ne parlait pas beaucoup, mais le faisait avec un fort accent espagnol, un peu à la manière de Pablo Picasso. De lui, je retiens la phrase « la vie, c’est pas fait pour rigoler » qu’aujourd’hui encore, nous nous amusons à dire en cas de coup dur. Jamais je n’aurais imaginé qu’il puisse se raconter dans un journal intime ou des poèmes.
Au début, j’avais dans l’idée d’écrire une histoire totalement fictionnelle, basée sur les quelques dates que tout le monde connaissait dans la famille : le départ de Crescencio de sa ville, Cuenca, la première arrestation de Doro, celle du passage en France, et les souvenirs de Ghislaine. Maintenant, je ne pouvais plus ignorer les points d’ancrage que m’offrait Pépé grâce aux écrits dispersés entre les aînés de ses petits-enfants.”
Un tango pour Doro, aux éditions Le Soir venu, sera en librairie le 13 mars 2025 (je me répète ?)
Quatrième de couverture :
Alors, tentés ?
Je vous embrasse, à la semaine prochaine.
Nathalie
Oh bien sûr que je suis très tentée !
Ton projet touche vraiment quelque chose en moi !