Récemment, alors que je discutais avec Amal au sujet de sa newsletter sur les couleurs, elle a mis le doigt sur un drôle de phénomène. Je lui racontais que la première fois que je rencontre des gens, je les vois en couleur. Enfin, en couleur, disons que je les vois dans un halo coloré : jaune, orange, vert, blanc ou violet, peu importe, en fait. Elle m’a répondu : “Ah ! Mais ça ! C’est la synesthésie.”
OK ! Ce que je ressens porte donc un nom. Notez que je n’avais jamais cherché.
“La synesthésie (du grec syn, union, et aesthesis, sensation) est un phénomène qui consiste en un liage sensoriel inhabituel, dans lequel certains stimuli évoquent automatiquement une perception additionnelle.”
Pas simple à comprendre. Alors, chez le synesthète, une information sensorielle s’associe de manière spontanée, et constante, à un autre sens. En bref le synesthète colore les sons ou entend les couleurs.
Comment “ça” vient ?
Le phénomène fascine les chercheurs, mais ils peinent encore à en expliquer l’origine :
Une prédisposition génétique, il existe des “clusters” familiaux.
L’environnement et la culture auraient également un impact sur ces associations sensorielles et cognitives.
Une autre proposition, qui concerne plus spécifiquement les synesthètes graphème-couleur, serait liée au développement du cerveau pendant l’enfance. En effet, l’acquisition de la lecture requiert des parties du cerveau dévolues à la perception des couleurs et donc, on imagine que le synesthète aurait partiellement effacé ces zones.
Mais, ça fait quoi, au juste ?
La pluralité du phénomène rend difficile toute tentative d’inventaire. En fait, les synesthètes perçoivent la réalité comme tout le monde, mais en même temps, ils ont un autre monde qui tourne sans arrêt dans leur tête.
Certains, visualiseront le fil du temps en 3D, d’autres associeront des couleurs à des goûts, des sons à des couleurs, ils entendront des sons en même temps qu’ils sentiront une odeur ou ressentiront des sensations physiques face à des sons.
Mais, concrètement, qu’est-ce que ça fait d’être synesthète ?
Je ne suis pas un génie. Je sais que je ressens des trucs bizarres depuis environ 25 ans, quand, pendant les recrutements de mes collaborateurs, je me suis aperçue qu’ils étaient entourés de couleur pendant les premières minutes de notre rencontre. C’est parfaitement involontaire de ma part, ça s’impose à moi, ça s’estompe, et ça disparait. Longtemps, je me suis méfiée des gens violets et j’aimais les gens oranges. Depuis quelque temps, j’ai renoncé à le dire, parce que finalement, je n’ai jamais constaté que les oranges étaient particulièrement sympathiques ou les violets plus désagréables que les autres.
Les romans que je lis laissent une empreinte colorée en moi qui peut durer très longtemps, tout comme les projets que je mène. Chacun de mes romans, par exemple, a une couleur qui lui est propre. Les jours ont aussi une couleur.
J’ai une vision des heures, jours, semaines, années, des saisons ou de l’alphabet en 3D. Par exemple, je me suis toujours représenté le temps sous la forme d’une échelle ronde. Lundi, mardi, mercredi on descend, jeudi, vendredi on monte, samedi et dimanche forment une espèce de plat. Idem pour les mois de l’année (en gros ça pourrait ressembler aux horloges molles de Dali). Les jours n’ont pas la même durée. Jeudi et vendredi sont beaucoup plus courts que les autres jours.
Et donc ?
Rien. En réalité, je ne suis pas sûre que cette perception du monde me permette de mieux appréhender les gens ou le temps qui passe. La seule chose qui est sûre, c’est que c’est un peu fatigant. Après une séance de dédicace, j’ai l’impression d’avoir un gigantesque arc-en-ciel dans la tête. C’est joli, mais fatigant.
Et pourquoi pas vous ?
La synesthésie toucherait 4 à 5% de la population adulte selon une étude de 2013. On peut penser que ce chiffre est nettement sous estimé, puisque les gens n’ont pas toujours conscience de ce qu’ils vivent. Imaginez que ça vous concerne, ou votre voisin de palier, votre collègue de bureau. Qui sait ?
Des synesthètes célèbres
Vladimir Nabokov, écrivain américain d’origine russe, écrivait dans son autobiographie qu'il avait "une ouïe colorée". Il y évoque avec poésie les teintes que prennent les lettres de l'alphabet. Autre particularité pour ce parfait polyglotte : ses synesthésies varient en fonction de la langue et de l’alphabet utilisés.
Daniel Tammet, écrivain britannique parlant et écrivant dans plusieurs langues, qui manie les mots avec brio. Il refuse d’être réduit à son syndrome d’Asperger. Sa synesthésie, décrite dans son premier livre intitulé : "Je suis né un jour bleu", le dote d’une capacité toute poétique à associer mots, images, sentiments et couleurs.
Le peintre Vincent Van Gogh évoque, dans ses lettres à son frère Théo, sa sensibilité aux sons traduits en couleurs et que l'on suppose être une chromesthésie.
Voilà, j’espère que vous aurez aimé cette incursion colorée, bonne semaine, dites-moi !
Je vous embrasse
Nathalie
et bien Chère Nathalie, merci de cette belle newsletter, de ces info et de faire référence à nos échanges et à ma newsletter, quel honneur ;-)
je découvre les plaisirs des partages épistolaires via les newsletters et les réseaux, une toile de savoir et de richesses colorées ! Et pour finir un ajout, un autre synesthète est Apollinaire et dans Alcools, de mémoire, ya un poeme , l'alphabet je crois, qui associe couleurs et lettres, à vérifier !
bon week-end, from Paris en couleurs et with love, Amal
hello Nathalie, mon chéri est sysnesthésique , ses enfants aussi, et les conversations peuvent vite partir en absurdité totale, Untel il est vert, ah non, il est rouge, n'importe quoi ...c'est jaune poussin
en plus des couleurs mon amoureux voit des chiffres, c'est une association, couleur et chiffre pour TOUT ce qui'l croise dans sa vie, un lieu, une personne, et parfois des odeurs arrivent en prime. Les couleurs sont très graduelles, des jaunes différents, de beiges teintés d'orange, des verts clairs ou sombres.. faut suivre ! parfois j'oublie qu'il a cette particularité, et à d'autres moments cela resort fort car c'est une multitude de choses qui s'activent en même temps dans son esprit, donc la concentration est soit très dense et précise soit étiolée. bref ... un poème ambulant. Ses soeurs aussi ont cette particularité, il a donc pu partager vite cela avec des proches. Heureusement car c'est une particularité qui peut fatiguer , perturber, parfois. comme tu l'expliques si bien.
Le grand père d'une amie s'était autre chose: chaque jour de la semaine était associé à une personnalité, lundi Piaf, Mardi Chirac, Mercredi Picasso, jeudi ... et ça changeait chaque semaine ...
A tout bientôt,