Je me suis réveillée avec une question qui tambourinait contre mon front, comme une mouche sur le couvercle d’un pot de confiture : depuis combien de temps n’avais-je pas pleuré ? Je ne parlais pas des larmes sans courage qui s’accrochent aux paupières et refusent de couler. Ni de celles qui font leur intéressantes ni les bien dressées qui jaillissent à un enterrement ou devant une pub bien chiadée. Non, où s’étaient-elles enfuies mes vraies larmes ? Les bien lourdes qui s’écrasent sur les genoux et sont intarissables, celles qui trempent un mouchoir en quelques secondes et qui donnent le hoquet. Depuis quand n’avais-je pas senti mon nez couler et faire des bulles à chaque respiration ?
Le réveil avait sonné depuis de longues minutes et je fixais toujours le plafond au-dessus de mon lit. De l’autre côté de la cloison, mon mari se préparait. Il le faisait dans un enchainement de gestes que je connaissais par cœur : dents douche, parfum, habillage, coiffure, miroir. Avant de descendre prendre son petit-déjeuner, il passerait la tête par l’entrebâillement de la porte et demanderait « je descends, je te prépare ton café ? » Je répondrais par un grognement censé vouloir dire « oui, merci, j’arrive, encore une minute, quel temps fait-il ? » et me retournerais vers le mur. Il l’a fait, mais ce jour-là, je suis restée coincée sur le dos. La question venait de muter. Elle prenait une tournure qui me déplaisait. Faire de la philosophie à sept heures du matin n’était pas pour me réjouir. L’important dans la vie est de ne pas se poser trop de questions, ou du moins, de ne pas s’en poser avant son premier café. Parce que les réponses post petit déjeuner sont tout à fait capables de nous embarquer vers un chemin que l’on n’avait pas prévu d’emprunter.
Je me levai avec lassitude, tirai le rideau sur le jour encore gris et mis plusieurs minutes à dérouiller mon corps qui n’en faisait qu’à sa tête. Il se coinçait, pesait plusieurs tonnes et m’abandonnait haletante à moitié des escaliers. J’avais le sentiment de ne plus savoir rien faire par moi-même. La question poursuivait sa progression et je tentais de la faire taire. J’enfilai mon uniforme, un sweat et un jean, et recoiffai mes cheveux. Je regardai mes yeux cernés en les tapotant avec la pulpe des doigts : je n’étais pas à l’abri que ce geste machinal eut finalement des résultats.
C’est à ce moment-là que la question m’a sauté au visage : depuis combien de temps n’avais-je pas ri ? Parce que pleurer, après tout, ça ne me manquait pas tant que ça, mais rire, oui. Rire à gorge déployée, sans pouvoir s’arrêter, rire à en perdre haleine, à se tenir le ventre. Rire pliée en deux en serrant les cuisses, rire et courir jusqu’au toilettes, rire à plusieurs, à s’étouffer, rire et ne plus pouvoir s’arrêter. Ça oui, ça me manquait et à cette question, je connaissais la réponse : une éternité.
Je cherchais la disparition de mon rire dans les valises accrochées au bout de mes bras et qui chaque lendemain étaient plus lourdes que la veille. Je ne pouvais plus faire comme si ça allait passer. Comme si c’était juste un mauvais moment. C’était terminé parce que ce matin-là, j’ai su : je voulais de vieilles larmes et des toutes neuves et surtout, surtout, je voulais des rires à n’en plus finir. Des rires stupides et niais, des rires gras et même des sous-cape.
Dans la cuisine, mon café fumait. Je l’ai jeté dans l’évier et me suis préparé un thé, il était temps que je retrouve mes larmes et mon rire.
J’ai lu que dans les années 1930, les français riaient 30 minutes par jour
En 1980 ce n’était plus que 6 minutes par jour.
Aujourd’hui ? Une minute !
Selon les médecins, 10 à 15 seraient nécessaires pour conserver une bonne santé.
Il parait que les enfants rient 300 fois par jour. 300 fois par jour !
Il parait que tout se joue à vingt-trois ans. C’est à cet âge là que la mutation s’opère. Cela n'a rien de surprenant. 23 ans c’est l’âge qui correspondrait à l'entrée dans la vie active ou tout du moins, à une plus large émancipation des jeunes adultes. Ainsi l’augmentation des responsabilités, des contraintes et les obligations au quotidien auraient raison de notre rire.
Vous allez me dire que vous riez tous les jours, et pas seulement une minute et vous aurez raison. Oui, moi aussi je ris. Je sais dégainer mes différents rires quand il le faut. Il y a le poli, le relationnel qui fait le job, le gêné ou le timide, celui qui voudrait me donner une contenance. Il y a le un peu forcé, celui qui dure trois secondes, les gloussements et celui qui vient sur commande. Non, moi je vous parle du bon gros éclat rire. Celui qui nous prend par surprise et embarque tout sur son passage. Celui du fond du bus quand on allait au collège, celui au resto avec des amis, celui qui te fait dire “non, non, arrête, je vais faire pipi!” Oui, celui-là. Tu le vois ?
Je sentais au fond de moi que cette histoire de rire perdu était plus grave que ce qu’elle n’y paraissait. Mon anxiété gagnait du terrain, mon sommeil s’était amouraché d’une nouvelle meilleure amie que je détestais ( Insomnie de son petit nom). Ma légèreté était aux abonnés absents. Le stress troublait mes décisions.
Pour le retrouver, j’ai commencé par faire semblant de rire. Un peu dans l’idée de se forcer à sourire pour être heureux. Face au miroir je l’ai disséqué. Je l’ai analysé. Décortiqué. J’ai découvert qu’un rire c’est avant tout une grimace. La bouche qui s’étire de chaque côté, les lèvres qui s’entrouvrent, la glotte qui tremblotte. Les yeux qui se plissent, les poumons qui se dilatent, le nez qui se retrousse, le corps qui s’amollit tout en faisant des soubresauts et les rides qui se creusent. C’était difficile. Vraiment difficile. Je me suis sentie stupide à essayer de retrouver mon rire enfui, là, toute seule, devant le miroir de mon entrée. Je me suis souvenue à quel point je me trouvais stupide aussi quand je répétais seule mes premiers enchainements de yoga, c’était il y a plus de quinze ans, alors j’ai persévéré.
J’ai tenté de rire comme on prie. J’ai levé les bras au ciel, renversé la tête en arrière et je l’ai senti venir. C’était d’abord un chatouilli dans le creux de mon ventre. Il était timide, alors j’ai ajouté des gloussements dont j’ai augmenté l’intensité graduellement. Il a contaminé mes membres et une chantilly foutraque a envahi mon cerveau. Qu’est-ce que je devais avoir l’air con. Mais mon dieu que c’était bon.
On rit plus quand on est accompagné, alors je remercie François et Assunta pour le fou rire géant du 29 janvier au Trinquet Moderne à Bayonne (10 minutes montre en main) et je m’excuse platement auprès de la serveuse. Merci à mes enfants et ma maman de me faire découvrir des humoristes et à mon mari pour son humour tellement décalé que je me demande souvent si je dois rire ou si je vais le vexer.
Hier, sur mon vision-board, qui évolue selon mes besoins, tout à côté du mot “légèreté” qui est en train de faire son coming-out, j’ai ajouté “rire aux éclats”. Sur un malentendu, je ne suis pas à l’abri que ça fonctionne ;)
Vous me parlez de votre rire ?
À la semaine prochaine, with love.
Nathalie
Éclater de rire
C'est exactement ça. Ce jour-là, quand on a ri au restaurant avec nos amis, je me suis aperçue que ça faisait une éternité que ça ne m'était pas arrivée, depuis, je veille chaque opportunité pour ne pas la claquemurer dans une espèce de bienséance. Les prises de conscience, ça peut avoir du bon. Bon week-end !
Je crois que le rire va très bien avec quelque chose qui s'apparenterait au lâcher prise. Alors, si c'est avec les collègues : bravo ! Belle journée